Presse féminine : La parole aux femmes
La presse féminine a commencé avec Kalima, qui était la première revue féminine. Parue de 1986 à 1989, elle abordait déjà des sujets de société tabous comme l’homosexualité masculine, qui lui a d’ailleurs valu une censure. On peut considérer ce premier féminin marocain comme avant-gardiste dans une société qui n’était pas prête à accepter un organe qui adoptait un ton aussi libre.
Presse féminine, vecteur de réalité sociale
Finalement, ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard que les deux magazines féminins Citadine et Femme du Maroc (en 1995) sont apparus. Deux magazines qui ont dès lors adopté une ligne éditoriale engagée pour les droits des femmes, mais aussi abordé tous les problèmes de sociétés relatifs aux enfants, à la famille, aux démunis, ainsi que des sujets d’ordre pratiques à travers les rubriques classiques d’un magazine féminin. C’était une période où la société civile et la scène politique se caractérisaient par une pression énorme des associations féminines pour la réforme du code de la famille. Les magazines féminins ont donc servi de caisse de résonance à ce combat en donnant la parole à toutes ces femmes militantes dont Aicha Ech-Chenna, Nouzha Sqalli, Rabia Naciri, Latifa Jbabdi, etc. « Lorsque l’on voit des femmes dans tous les métiers et qui sont également chefs de famille, et lorsqu’on montre cela dans toutes nos éditions, on ne peut que par effet miroir, démontrer le caractère caduc du statut juridique des femmes », nous rapporte Keltoum Ghazali. Rappelons-le, l’ancienne Moudouwana plaçait les femmes au statut de mineures à vie, sous la tutelle du père, du frère ou du mari.
Presse féminine,
proche des Marocaines
Avant l’apparition des magazines féminins marocains, les femmes achetaient la presse étrangère. Le marché étant présent, il semblait logique de lancer leurs équivalents marocains. Ces magazines sont, contextuellement, plus proches de leur vécu et de leurs réalités sociale, familiale, psychologique et affinitaire. De par l’effet de nouveauté, c’est une presse qui a vite conquis son lectorat et les ventes en attestaient avec 15 000 à 20 000 exemplaires vendus mensuellement.
La naissance de magazines féminins marocains a également été une opportunité pour les agences et les annonceurs de valoriser leurs marques auprès de la cible féminine. Par effet de levier, de nombreux annonceurs ont saisi cette nouvelle opportunité pour communiquer sur ces magazines et de profiter de cette nouvelle presse ciblant les femmes.
D’ailleurs, de nombreux autres supports ont vu le jour suite à cette effervescence publicitaire : Ousra, Famille Actuelle, Femina, Lalla Fatima, ainsi que les versions arabophones de Femme du Maroc, Nissaa, et de Citadine.
La presse féminine :
nouvelle expression,
nouvelle consommation
Maria Chraibi, nous explique que depuis les années 2000, le secteur de la presse connaît un nouveau tournant, en raison de l’ouverture du Maroc au libre-échange, l’arrivée de plusieurs franchises dont Inditex et l’apparition de nouveaux modes de consommation. Ainsi, « Tendances et shopping est arrivé en mai-juin 2006, c’était un bimestriel et sa vision était d’arriver avec une conception graphique innovante et moderne. C’était un féminin assez haut de gamme et qui venait répondre aux attentes des jeunes trentenaires qui étaient des consommatrices averties, des voyageuses et qui correspondaient à toute une nouvelle génération de modeuses déjà présentes sur les réseaux sociaux. C’est un très beau magazine qui a malheureusement cessé de paraître en 2012 car son concept s’est un peu étiolé à cause de cette tendance a toujours s’adresser à une niche de femmes avec une proposition de consommation très up. En parallèle est arrivé Plurielle, à quelques mois d’intervalles. C’était innovant par trois points : premier petit format, un magazine gratuit et une large distribution ».
Dès les années 2000, et jusqu’à aujourd’hui, l’arrivée des marques internationales favorise l’apparition de nouveaux supports féminins, franchises de grands titres internationaux, tels que L’officiel, puis Grazia, ou people, comme Hola, avec un positionnement « luxe ». Si de nombreuses mutations dues à la montée en puissance de nombreux médias dont l’audiovisuel, la radio, et l’affichage, touche de près les investissements publicitaires de la presse, il n’en demeure pas moins que la presse féminine évolue pour continuer à servir sa cible marocaine.
1986 Sortie du premier féminin marocain, Kalima, qui paraîtra de 1986 à 1989.
Une revue plusieurs fois censurée pour son ton très libre.
1995 Citadine (octobre) et de Femmes du Maroc (novembre) sortent en kiosque
quasi simultanément, avec une ligne éditoriale résolument féministe et engagée.
2001 En plein essor, et porté par une manne publicitaire importante,
la presse féminine fait des émules : Ousra et Famille Actuelle.
2000-2005 Le paysage médiatique féminin s’enrichit de publications arabophones :
Nisae Min al Maghrib (2000), Lalla fatema (2005) et Citadine version arabe (2006).
2005-2010 Nouvelle génération de magazines, Parade (2005), Tendances et Shopping (2006),
L’Officiel (2009) et Plurielle (2006), qui abandonnent le militantisme pour s’adresser
à des consommatrices émancipées et indépendantes.
2011 Après la Marocaine.ma, lancée en 2000, les magazines féminins lancent leur version digitale, auxquelles s’ajoutent de nombreux webzines : Quandisha dès 2011, Enti.ma, Kenzi+, Shoelifer,…
« Le digital a bouleversé
le paysage médiatique »
Interview avec Keltoum GHAZALI, Directrice de la rédaction de Grazia Maroc, Le Cénacle.
Pouvez-vous nous expliquer le nouveau paysage de la presse féminine au Maroc ?
La donne a changé, effectivement, essentiellement parce que nous sommes à présent passés à l’ère du tout digital, ce qui a favorisé l’apparition de nouveaux médias féminins, que ce soit les versions digitales de magazines existants, ou l’apparition de pure player ou webzines dédiés aux femmes.
Quels sont ses challenges ?
Les challenges sont de vrais défis à relever, aussi bien pour la presse féminine digitale, qui doit faire faire face à une concurrence quasi mondiale, que pour la presse écrite, qui doit totalement repenser son contenu éditorial. Les féminins sont généralement des mensuels, un temps très long par rapport au rythme « endiablé » du digital, ce qui doit nous amener à offrir à nos lectrices un contenu différent, plus créatif et plus riche.
Quels changements observe-t-on dans la presse féminine ?
En termes de contenu, les grands sujets de société et le plaidoyer féministe, qui a fait les beaux jours des premiers féminins marocains, a laissé place à une presse essentiellement centrée sur les marques ; une presse qui s’adresse aux femmes, en tant que consommatrice essentiellement.
Pensez-vous qu’il faille réfléchir à de nouvelles manières de produire le contenu ? Et si oui, lequel ?
Les féminins marocains ont intérêt à jouer la carte de la proximité avec leurs lectrices, pour préserver leur lectorat. Le digital a bouleversé le paysage médiatique, certes, mais il y a aussi la mondialisation qui fait qu’un média marocain doit, plus que jamais, être au plus près des préoccupations de ses lectrices. Aujourd’hui, les modes de vie, les modes de consommation, les marques, sont identiques à Casablanca ou à Paris. Si on raconte la même chose que dans « Elle » ou dans « Vogue », nos lectrices basculeront d’un simple clic, vers les grands féminins européens ou américains.
Le passage au digital apporte-t-il de la valeur au contenu ?
Pas suffisamment, à mon sens. Et c’est regrettable parce que le digital est un outil extraordinaire pour augmenter son audience et passer des messages forts.
La presse féminine à l’étranger connaît un regain d’intérêt auprès du lectorat, qu’en pensez-vous ?
Les statistiques démontrent en effet un léger rebond. Je pense que d’une manière générale, les lecteurs sont fatigués de recevoir, passivement, ce flot d’informations quotidien, pas toujours intéressantes, ni même fiables. Alors on reprend peu à peu le chemin vers le kiosque, pour choisir son journal. Ce qui nous amène à penser que le digital aussi doit repenser la qualité de son contenu.
COMMENTS