Yasmine Alaoui est Professeure-Chercheure à l’ENCG-Casablanca et Consultante experte en Marketing et attractivité des territoires. Elles répond à nos questions, autour de la thématique de « L’identité Territoriale, vecteur d’une attractivité résiliante et soutenable », de la 4ème édition de l’Africa Place Marketing, qui se tiendra les 22 et 23 novembre 2023, à Casablanca.
Faut-il distinguer le marketing territorial du concept de marque territoriale, à l’instar de Wecasablanca ?
Effectivement, le marketing territorial n’est pas le brading territorial. Le marketing territorial fait partie d’une branche spécifique du marketing ; « the non profit Marketing ». Il s’agit d’un marketing de l’offre et non pas un marketing de la demande dans le sens ou la majeure partie de l’offre et de l’identité d’un territoire ne peut pas être changée pour s’adapter complètement aux goûts et attentes des différentes clientèles comme on le ferait dans un marketing de grande consommation. Le marketing territorial est un état d’esprit, un ensemble de méthodes et de techniques permettant de retenir et d’attirer une cible (habitants, touristes et investisseurs) rentable. Par ailleurs, on pourrait bien, dans le cas de certains territoires, faire toute la démarche marketing et décider de ne pas mettre en place une marque territoriale. Une marque territoriale permet d’associer une image, un visuel et un message à un territoire ; comme « WeCasablanca » ( le OUI du positif et le WE du collectif) ou encore « I love NewYork » devenu « We love NewYork », « BeBerlin », «Iamsterdam »,etc. et c’est une traduction opérationnelle de la démarche d’attractivité territoriale.
Quel est le rôle de l’identité territoriale dans les démarches de développement et d’attractivité territoriale.
C’était justement la question à laquelle j’ai essayé de répondre dans le cadre de mes travaux de doctorat. En effet, La question de l’identité territoriale est au centre d’un débat qui ne date pas d’hier. Si ce débat est réinitialisé aujourd’hui c’est pour répondre aux nouvelles tendances territoriales. Nous partons donc de l’hypothèse que les apports du marketing territorial, qui fait de la variable identitaire son cheval de batail, seraient particulièrement pertinents sur les territoires africains. Dans cette veine, de nombreux experts, chercheurs et praticiens internationaux en développement territorial perçoivent l’identité comme un noyau fondateur autour duquel se construisent la stratégie, la gouvernance, l’offre, la marque, l’image de marque du territoire, la communication et la capacité de ce dernier à être résilient et soutenable. D’après nos propres recherches et sur la base des cas ratiques sur lesquels nous avons travaillé nous considérons que l’identité devrait être au commencement et au commandement de toute démarche d’attractivité territoriale.
Y’a-t-il en Afrique, d’autres modèles de démarches territoriales ayant fait leurs preuves ?
Des initiatives africaines existantes et naissantes très intéressantes se développent et se peaufine de manière -visiblement- très pertinente ; entre celles qui se concentrent spécialement sur le tourisme, celles qui se sont focalisées sur les résidents et la participation citoyenne, celles qui ont accès leur développement sur l’attractivité des investissements et/ou celles qui ont une vision plus holistique. Nous pouvons ainsi citer quelques territoires qui viennent partager avec nous leurs expériences comme : le Sénégal, la côte d’Ivoire, le Mali, l’Uganda, Le Congo Brazzaville, le nigère, le Congo, etc.
Comment révèle-t-on l’identité territoriale d’un territoire ?
L’identité territoriale n’est pas figée ; elle est au contraire conjuguée à la fois au passé, au présent et au futur, elle est mouvante et en perpétuel devenir. Elle traduit ce qu’est le territoire aujourd’hui, ce qu’il était hier et ce qu’il veut devenir demain. Dans mes travaux de recherche mais aussi dans la pratique je présente l’identité sur une grille d’analyse opérationnelle scindée en deux grandes parties ; une première partie que j’ai appelé le portrait des « sens » c’est-à-dire tout ce qu’on peut décréter avec nos 5 sens (Economie, ggéographie, accessibilité, savoir-faire, couleurs, matières, goûts, odeurs, sons, climat, lumière, paysage et patrimoine naturel, patrimoine de personnalité, etc.) et une deuxième partie un peu plus intime nommée portrait de « l’essence » du territoire ( Le sens du nom, le caractère de la population, le langage et l’accent, le sentiment d’appartenance, la fierté et l’égo, etc.). Cette Grille est alimentée grâce aux « études des études » déjà réalisées sur un territoire mais aussi sur la base des études de marché qualitatives, quantitatives et projectives sur un échantillon représentatif de tous les acteurs du territoire en question ; une démarche scientifique honorée pour la réalisation de l’étude identitaire effectuée pour la marque WeCasablanca.
Qu’entend-on par « attractivité résilient et soutenable », comme le veut le thème de la prochaine édition d’«Africa Place Marketing » ?
Cette quatrième édition de l’Africa Place Marketing défendra l’idée maîtresse de ce nouveau marketing territorial qui prône l’identité comme fondement d’une attractivité territoriale résiliente et soutenable. Par résilience nous voulons ouvrir le débat sur la capacité mais surtout le processus de capacitation de nos territoires africains à réagir, s’adapter, se régénérer et surmonter les crises.
Le concept de la soutenabilité qui fait référence à un processus unissant à la fois un développement social équitable et solidaire ainsi qu’une efficacité économique respectant l’environnement mais aussi et surtout la qualité de vie du résident serait plus appropriée. Nonobstant, la soutenabilité reviendrait à se poser les questions suivantes : jusqu’à quel point je devrais faire le marketing territorial ? quelle stratégie d’attractivité devrais-je développer pour une bonne expérience « touriste et investisseurs » en respectant les ressources, l’espace et les micro-spécificités du territoire ?
Cet état d’esprit basé sur l’identité territorial pour une attractivité à la fois résiliente et soutenable constituerait donc un socle solide des valeurs du territoire grâce auquel on pourrait fédérer toutes les parties prenantes, afin de développer une marque territoriale forte et durable et concevoir une offre adaptée tant pour les habitants (appelés à jouer le rôle d’ambassadeurs) que pour les touristes et les investisseurs que l’on vise à retenir et à attirer sur nos territoires africains.
Propos recueillis par Keltoum Ghazali.