Entrepreneuriat, culture, digital, publicité… Omar Kadiri est de ceux qui refusent les cases toutes faites. Cofondateur de l’agence Inception, il incarne une nouvelle génération de communicants marocains qui placent la créativité, l’authenticité et l’impact au cœur de leur démarche. À seulement 36 ans, son parcours atypique l’a mené des bancs de classes préparatoires en France aux plateaux de tournage, en passant par l’univers des start-ups et des réseaux sociaux. Rencontre avec un passionné d’images et de narration, qui fait rimer stratégie avec émotion - et disruption avec conviction.
Quel a été votre parcours ?
Après mon lycée au Maroc, j’ai intégré une classe préparatoire en France, ce qui m’a permis ensuite d’accéder à une grande école de commerce : Grenoble École de Management. J’ai poursuivi avec un master en entrepreneuriat et innovation en partenariat avec La Maison de l’entrepreneuriat de l’EM Lyon
À l’origine, j’étais très attiré par le monde de la finance, avec un rêve clair : intégrer un fonds d’investissement. J’ai ainsi effectué une année de césure chez BNP Paribas, en Private Equity à Paris. Mais j’ai vite réalisé que ce milieu ultra-orienté chiffres était trop déconnecté des réalités économiques pour moi.
C’est là que je me suis tourné vers l’univers des start-up, avec l’envie de créer ma propre entreprise. À mon retour au Maroc, une opportunité s’est présentée à moi grâce à un ami d’enfance, Yanis Ayouch, alors directeur de création chez Shems. Il m’a proposé de rejoindre le groupe. Nous partagions une passion commune pour le cinéma, un intérêt qui m’a toujours habité.
Petite anecdote : quand j’étais bébé, pour me faire manger, on me mettait des cassettes de publicités ! Ça montre à quel point j’étais fasciné par ce format dès le plus jeune âge.
J’ai donc passé un peu moins de deux ans dans cette structure, d’abord au département commercial, puis en stratégie. Ce fut une expérience enrichissante, mais l’envie d’entreprendre ne m’a jamais quitté. C’est ainsi qu’est née Lik, une application mobile innovante qui permettait aux utilisateurs d’effectuer des recharges téléphoniques gratuitement, en échange d’interactions publicitaires.
Parlez-nous de cette application ?
C’était très gamifié : les utilisateurs recevaient des appels avec des vidéos publicitaires interactives. La publicité était intelligente et contextualisée – par exemple, une pub Coca-Cola ne s’affichait que lorsqu’il faisait plus de 25 degrés. C’était géolocalisé, ciblé. La start-up a connu un beau succès : nous avons remporté de nombreux prix à l’international (Attijariwafa Bank, Total, Global Entrepreneurship Forum en Colombie, etc.). Nous avions atteint plus de 880 000 téléchargements et 330 000 utilisateurs actifs par jour.
Mais nous sommes arrivés un peu trop tôt sur le marché. Le modèle économique nécessitait de lourds investissements publicitaires, notamment pour acheter les recharges téléphoniques à redistribuer. Nous avons un peu été victimes de notre succès.
Vos premiers pas dans la pub ?
Par la suite, je suis revenu dans le monde de la publicité, où j’ai rencontré Masta Flow, aujourd’hui mon associé. Véritable pionnier du rap au Maroc, il a également une solide expérience en marketing musical. Ensemble, nous avons pris en main la gestion d’une agence.
Nous avons toujours été animés par une envie de rupture dans le secteur de la publicité : proposer des campagnes plus agiles, plus ancrées dans le digital, plus 360°. Une approche résolument nouvelle vague. Nous nous reconnaissons beaucoup dans une agence comme Buzzman, avec qui j’ai eu la chance d’échanger, notamment avec Georges Mohammed-Cherif. Leur parcours ressemble au nôtre : ils ont quitté les grosses agences traditionnelles, frustrés, pour créer quelque chose de différent. Aujourd’hui, ce sont des leaders européens.
Avec Masta Flow, nous avons lancé une agence à taille humaine mais ambitieuse. En deux ans et demi, nous avons quadruplé nos performances. Une aventure incroyable qui nous a donné envie d’aller encore plus loin, en gagnant en indépendance.
Notre objectif : insuffler la culture start-up dans le monde des agences, avec de l’agilité, une hiérarchie horizontale, de vraies prises de responsabilité, et surtout, une forte dimension créative nourrie par notre passion pour le cinéma.
Les échanges internationaux, notamment avec Buzzman, nous ont confortés dans l’idée que le cinéma pouvait et devait infuser la publicité. Pour nous, une publicité ne se conçoit plus comme une simple réclame produit, mais comme une œuvre visuelle avec une vraie démarche de réalisation cinématographique.
Et aujourd’hui, où en est le marché ?
On constate une vraie montée en qualité dans la publicité marocaine. De plus en plus d’acteurs cherchent à élever le niveau, à dépasser les productions plates et génériques des anciennes agences. Et c’est une excellente chose ! Ce mouvement vers le haut est bénéfique pour tout l’écosystème.
Nous sommes heureux quand nous voyons d’autres agences produire de belles campagnes. Cela nous motive, nous inspire, et pousse aussi nos clients à viser plus haut, à investir un peu plus, à optimiser. Parfois, il ne s’agit pas d’avoir plus de budget, mais de mieux l’utiliser.
Le traitement visuel est au cœur de notre démarche. Nous collaborons avec des réalisateurs de cinéma, comme nous l’ont conseillé nos pairs. La lumière, la direction photo, les plans, le "look and feel" : tout cela fait une différence énorme. Pendant longtemps, nous avons souffert du contraste entre les publicités que nous voyions à l’international – que ce soit en Europe, aux États-Unis, ou même dans la région MENA – et celles produites au Maroc. Aujourd’hui, cela change.
Et c’est ce qui nous motive chaque jour : apporter cette "cinématographie publicitaire" dans chaque projet, repousser les limites, faire rayonner le savoir-faire marocain ici et à l’international.
Revenons à Inception, une agence marocco-marocaine, donc, co-créée avec Masta Flow.
Oui, nous sommes associés, également avec Kenza El Yaboudi, notre directrice de la stratégie. On a cette volonté, très start-up, de donner des participations aux personnes qui forment le cœur de l’équipe et qui grandissent avec nous. Pour nous, c’est vraiment un modèle win-win avec nos collaborateurs.
Quel est le positionnement d’Inception aujourd’hui ?
C’est une agence 360°, parce qu’aujourd’hui tout est intégré, avec une forte volonté d’indépendance. On fonctionne comme une boutique créative, en mettant vraiment la créativité au centre de notre démarche.
On s’entoure aussi d’un écosystème de talents dans tous les domaines artistiques : cinéma, musique, production, photo, influence… C’est essentiel pour nous, car ces synergies nous permettent de sublimer nos contenus. On propose une offre complète : stratégie, création, production, veille, réputation, média, événementiel. L’objectif, c’est d’être un one stop shop, capable d’accompagner nos clients sur tous leurs enjeux de communication — dans les bons moments comme dans les crises.
Vous insistez sur la notion de disruption. Qu’est-ce qu’une agence disruptive ?
C’est une agence qui casse les codes établis du secteur. Aujourd’hui, avec l’émergence de l’intelligence artificielle, il faut être dans l’adaptation permanente. On pense que l’IA est un formidable outil de démocratisation, mais ce n’est pas une spécialité en soi.
On refuse de se positionner comme “agence spécialisée en IA” : pour nous, ce sont des outils accessibles à tous. Ce qui compte, c’est l’intelligence stratégique, l’authenticité, la création originale. Quand tout le monde a accès aux mêmes outils, les marques les plus exigeantes cherchent à se différencier par du contenu plus vrai, plus humain. L’IA peut sublimer, mais elle ne doit pas être au cœur du dispositif — sinon, tout finit par se ressembler.
Donc, être disruptif, c’est aussi une posture ?
Oui. C’est garder un esprit start-up, être agile, connecté aux tendances, aux cultures, à l’international. On est une agence marocaine, et on en est fiers. Notre signature, c’est “From Morocco to the World”. On croit à un Maroc qui inspire et qui peut aussi apprendre du monde. On a la chance d’avoir des partenaires exceptionnels, qu’ils soient Marocains du monde ou internationaux. L’idée, c’est de toujours rester à la pointe et d’apporter le meilleur au Maroc — mais aussi du Maroc vers l’extérieur.
Pouvez-vous nous citer des exemples de campagnes qui illustrent votre ADN ?
Oui, bien sûr. Par exemple, la dernière campagne pour Kroon, une marque de fromage premium. C’est un produit historique au Maroc - la fameuse boule rouge - mais qui avait perdu du terrain à cause de nombreuses copies.
Notre défi : lui faire regagner sa position de leader. On a choisi de sortir des codes classiques du fooding. On a repositionné la cuisine comme un espace de joie, de créativité, un moment à vivre en famille. On a acheté les droits de la chanson "Youm Wara Youm" de Cheb Mami et Samira Said, et on l’a remixée pour en faire "Kroon Wara Kroon". Visuellement, on a misé sur un style cinématographique : effets vertigo, caméras dynamiques, lumière tamisée... Une vraie montée en gamme. Et ça a fonctionné : formidable croissance historique des ventes grâce à leurs talentueuses équipes.
Un autre exemple ?
Oui, la campagne Mio, une marque marocaine de lessive qui se positionne face à un géant comme Ariel. On a travaillé avec eux dès le début, en co-construction : nouveau logo inspiré de la suite de Fibonacci, nouveaux packagings, plateforme stratégique forte.
On a aussi repris les codes des marques cosmétiques haut de gamme et on les a transposés à la lessive. Le pari était osé, mais ça a été un succès total, avec une campagne 360° (influence, affichage, GMS, activations…).
C’est un très bel exemple de ce qu’on veut prouver : qu’une marque marocaine peut non seulement atteindre les standards internationaux, mais aussi les dépasser. Et ça, avec une équipe locale et une vraie vision créative.
La data est-elle aujourd’hui un outil incontournable dans votre métier ?
Complètement. La data, qu’elle vienne du digital ou qu’elle soit partagée par nos partenaires, est essentielle. Et d’ailleurs, c’est une vraie tendance récente. Avant, dans la pub, les marques étaient souvent frileuses à l’idée de partager leurs chiffres de vente, leurs indicateurs.
Aujourd’hui, au contraire, on travaille avec des partenaires qui comprennent que ces données sont des leviers précieux. On analyse des datas de notoriété, de considération, d’engagement digital… Mais la donnée clé, c’est celle qui répond à une question : est-ce que ce qu’on fait a un impact réel sur les ventes ? Est-ce que ça génère de la croissance ? C’est la finalité pour nos clients, et c’est ce qu’on s’engage à leur apporter.
Vous êtes une agence de com… mais vous, comment communiquez-vous sur Inception ?
Honnêtement, on est plutôt dans une posture de grande discrétion. Notre credo, c’est : laisser notre travail parler pour nous. Ce sont nos campagnes, les résultats qu’on génère, qui sont nos meilleurs arguments.
On n’a presque jamais “commercialisé” l’agence. C’est une vraie chance : nos clients viennent principalement par recommandation. Et c’est ce qu’on préfère. Le marché est petit, au Maroc, donc le bouche-à-oreille fonctionne très bien.
Et puis, on a une éthique forte : un seul grand client par catégorie. Parfois, c’est contractuel, mais souvent c’est juste une question de principe, de loyauté. Cela nous permet aussi de mieux maîtriser notre croissance, de ne pas courir après tout, mais de grandir avec mesure.
Votre participation aux Impériales cette année a marqué les esprits. Qu’est-ce que vous en retenez ?
Franchement, ça a été une très belle expérience, un moment riche. On a pu inviter plusieurs de nos grands partenaires internationaux, dont certains profils incroyables.
Par exemple, un des fondateurs du groupe Webedia, un des leaders européens de l’influence, ou encore le fondateur de Sesterce, une entité IA qui vient de lever 1,5 milliard d’euros. On a aussi invité des personnalités qui ont cartonné dans l’immobilier à Courchevel… Tous ont un point commun : ils sont marocains, fiers de l’être, et veulent apporter quelque chose au pays.
Donc, Les Impériales, c’est aussi un signal fort sur l’écosystème local ?
Exactement. Cet événement reflète une vraie ambition sectorielle. Le niveau de l’organisation, la qualité des intervenants, les thématiques abordées… Tout est là. Et surtout, on voit émerger une nouvelle diaspora marocaine ultra-successful, avec des licornes, des réussites internationales, et une vraie envie de revenir, d’investir, de contribuer.
Ce type d’événement, c’est un moteur. Ils en vivent dans leur pays d’adoption, et ils veulent retrouver la même énergie ici. Alors, oui, pour nous, avoir été sponsor des Impériales, c’était une forme de publicité implicite, mais ultra-impactante. On était au cœur du sujet.
Est-ce qu’il y a une tendance marketing actuelle qui influence vos choix stratégiques chez Inception ? Sur quoi “on surfe” en ce moment ?
Clairement, l’intelligence artificielle est l’un des grands sujets du moment. On s’interroge beaucoup sur comment l’adapter, en tirer profit, et surtout s’entourer des meilleures expertises à l’international. On a l’humilité de dire qu’on apprend tous les jours, qu’on échange avec des spécialistes, qu’on explore constamment de nouveaux usages.
Il y a aussi une autre tendance très forte : la fierté marocaine dans les produits. On l’a beaucoup ressenti à travers notre travail sur Mio, par exemple. On voit émerger un vrai mouvement, une sorte de “Make Moroccan Products Great Again”, qui dépasse les frontières. Ce sont des produits marocains alignés sur les plus hauts standards internationaux, et portés par une vraie volonté industrielle locale.
Le “Made in Morocco” devient une forme de soft power ?
Oui, complètement. Et on est fiers d’accompagner cette dynamique. C’est même le mot clé : la fierté. Aujourd’hui, la production audiovisuelle est un pilier central de ce soft power marocain. On est très inspirés par les modèles turc ou coréen. Regardez comment la Turquie exporte ses séries, sa cuisine, son identité. Ou comment la Corée du Sud rayonne à travers ses contenus culturels.
Le Maroc a lui aussi un potentiel incroyable. Il a su le démontrer avec le football, qui a été un vecteur formidable de soft power et qui a eu un impact réel sur le tourisme. Maintenant, il est temps de transposer cela au cinéma, aux séries, à la publicité. Il faut créer une “Moroccan touch” qui s’exporte, à travers les plateformes, les réseaux, les contenus créatifs. Et pour ça, il faut un travail d’équipe, un vrai collectif.
Justement, vous avez lancé une initiative forte à travers le collectif DMP : “Please correct the map”. D’où est venue cette idée ?
Elle est née d’un moment très fort : l’impulsion donnée par Sa Majesté à travers ses discours, lorsqu’il a appelé toutes les forces vives de la nation à se mobiliser. Il y a cette question qui nous a marqués : “Que peut-on faire pour notre pays ?”
Sur les réseaux, surtout LinkedIn et Twitter, on a remarqué un phénomène frustrant : des cartes du monde erronées, qui ne respectent pas l’intégrité territoriale du Maroc. Souvent, ce n’est même pas fait de manière malveillante. Ce sont des visuels standards, pris sur des banques d’images ou des rapports, avec des pointillés ou des couleurs incorrectes.
On voyait des commentaires, des gens s’indigner, mais rien ne changeait. Alors on s’est dit : “Et si on proposait une solution concrète ?”
Avec les équipes d’Inception, on a mobilisé nos talents et monté un collectif : Digital Moroccan Power (DMP). On s’est entourés de profils très complémentaires – avocats, réalisateurs, influenceurs, publicitaires… et on a lancé l’initiative “Please correct the map”.
Comment fonctionne cette initiative ?
C’est très simple : quand une personne repère une carte inexacte, notamment sur LinkedIn ou Twitter, il suffit de nous taguer (@Inception Communication) et d’utiliser le hashtag #PleaseCorrectTheMap. Nous, on prend la carte, on la corrige graphiquement, et on la renvoie, en commentaire ou directement en message privé.
Ce qui est incroyable, c’est que des personnes de pays très divers nous sollicitent : Turquie, Espagne, France, même les États-Unis. Certaines nous envoient leurs visuels à l’avance en nous demandant : “Pouvez-vous vérifier la carte avant que je publie ?” On a déjà corrigé des milliers de cartes.
Mais ce qui compte le plus, c’est la sensibilisation. Beaucoup découvrent simplement qu’ils utilisaient des cartes erronées. Ils nous répondent : “Ah, on ne savait pas, merci !” Et ça, c’est la meilleure récompense.
Donc ce n’est pas seulement une cause territoriale, c’est aussi identitaire ?
Exactement. C’est la défense d’un territoire, bien sûr, mais aussi la valorisation de nos valeurs, de notre identité.
Et ce n’est qu’un début. Il y a de très beaux projets à venir. Notamment, les 50 ans de la Marche Verte, qui approchent en novembre. On a envie de s’impliquer, de marquer cet anniversaire symbolique avec des actions fortes.
On a été très touchés de voir tout l’écosystème presse et influence se mobiliser autour de nous, de façon spontanée. Chacun a pris part à sa manière, et c’est ça la force du digital. Même si vous avez 1 000 abonnés, 10 000 amis, chaque action compte. On veut continuer à œuvrer dans ce sens, à apporter notre pierre à l’édifice.