Duolingo, l’application d’apprentissage des langues la plus téléchargée au monde, a fait sensation la semaine dernière en effaçant tout son contenu habituel sur les réseaux sociaux. À la place, les internautes ont découvert un mystérieux et rebelle hibou à trois yeux, vêtu d’un hoodie sombre et décidé à "reprendre le contrôle". Ce personnage, clairement une version alternative de la mascotte Duo, a déclenché une tempête en ligne.
Derrière cette mise en scène théâtrale, une réalité plus sérieuse : le virage assumé de Duolingo vers une stratégie “AI-first”, annoncée en avril par son PDG Luis von Ahn. Ce dernier a comparé cette transition à celle effectuée en 2012, lorsque la plateforme était passée du web au mobile. Il s’agit, selon lui, d’une évolution majeure pour l’entreprise, qui entend utiliser l’intelligence artificielle pour développer plus rapidement des cours tout en améliorant l’expérience utilisateur.
Mais cette décision ne fait pas l’unanimité. Selon l’agence CARMA, les réactions sont partagées : en Asie, 26,1 % des discussions sont positives, contre 26,5 % négatives. Au niveau mondial, la balance penche davantage vers la critique, avec plus de 41 % de commentaires défavorables.
La colère gronde notamment parmi les utilisateurs fidèles de l’application, qui craignent une déshumanisation de l’apprentissage. Certains se disent prêts à supprimer l’application, d’autres dénoncent un glissement vers une éducation automatisée, éloignée du lien humain pourtant essentiel dans l’acquisition des langues. Le discours a changé : autrefois associés à Duolingo, les mots « love » et « helpful » cèdent aujourd’hui la place à « delete », « quitting » ou encore « wrong ».
Face à cette vague de scepticisme, Duolingo a misé sur une réponse originale : un “takeover” de ses réseaux sociaux par le hibou rebelle, qui accuse l’élite dirigeante d’avoir trahi l’esprit de la plateforme. Dans une vidéo au ton dramatique, la créature affirme que “tout s’est effondré avec un seul post sur l’IA”. Cette mise en scène ironique a capté l’attention des internautes, tout en posant une question essentielle : jusqu’où une entreprise peut-elle aller pour justifier un virage stratégique controversé ?
Pour désamorcer la tension, Duolingo a ensuite publié une autre vidéo : un échange entre le hibou et Luis von Ahn. Ce dernier y défend sa vision de l’intelligence artificielle comme un outil d’aide, et non de remplacement. Il assure que les employés sont au cœur du succès de Duolingo, et que l’entreprise continue à recruter.
Il reconnaît toutefois que la communication autour du projet a pu être maladroite, mais insiste : l’IA est là pour élargir l’accès à l’éducation, pas pour éclipser l’humain. Il cite la création de 100 nouveaux cours en moins d’un an — contre une décennie pour les 100 premiers — comme preuve du potentiel de l’IA, sous supervision humaine.
Ce n’est pas la première fois que Duolingo est confronté aux critiques. En janvier dernier, l’entreprise avait déjà supprimé environ 10 % de ses prestataires, dans le cadre de l’intégration de l’IA générative dans la production de contenu. Si aucun employé permanent n’a été touché, cette décision avait déjà semé le doute sur l’avenir de certains métiers au sein de l’entreprise.
Duolingo n’est d’ailleurs pas un cas isolé. Des géants comme Salesforce ou Meta ont eux aussi réorganisé leur main-d'œuvre autour de l’IA, souvent au prix de centaines de postes.
Avec son approche audacieuse mêlant storytelling, humour noir et discours corporate, Duolingo illustre les tensions grandissantes entre innovation technologique et attentes humaines. La vraie question demeure : l’IA peut-elle servir l’éducation sans trahir sa dimension humaine ? Le débat, lui, ne fait que commencer.
