Imaginez coller un simple autocollant sur votre peau avant une soirée, et qu’en un seul contact avec votre boisson, il vous alerte d’un danger. C’est l’ambition portée par le professeur Kyong-Cheol Ko et son équipe en Corée du Sud. Leurs recherches ont abouti à un patch composé de gel d’agarose et d’un réactif chimique, le BHEI. Ce dernier change instantanément de couleur — du jaune au rouge — lorsqu’il détecte une infime quantité de GHB, molécule tristement célèbre pour son usage criminel.
Le tatouage est étanche, durable (jusqu’à 30 jours), peu coûteux et compatible avec tous types de boissons. Grâce à un seuil de détection très bas (0,01 µg/mL), il se positionne comme l’un des outils les plus performants du marché, surpassant les vernis et bandelettes existants.
Une prouesse technologique… mais un champ d’action limité
Si l’efficacité technique semble indiscutable, des experts tempèrent l’enthousiasme. En France, par exemple, le GHB n’est détecté que dans une minorité des cas de soumission chimique — moins de 5 % selon l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Les substances les plus souvent utilisées sont des médicaments sédatifs comme les benzodiazépines, bien plus difficiles à détecter par ce type de technologie.
Pascal Kintz, spécialiste en toxicologie médico-légale, rappelle que ce genre de patch ne couvre qu’une infime partie du spectre des drogues utilisées à des fins criminelles. Et surtout, en cas de détection positive, la valeur juridique de l’indicateur reste nulle : seul un prélèvement médical peut être retenu dans une procédure judiciaire.
Le risque d’un faux sentiment de sécurité
Ce dispositif pourrait aussi véhiculer une idée faussement rassurante : celle d’une protection absolue. Pour Leila Chaouachi, fondatrice du Centre de Recherche et d’Actions contre les Formes de Soumission (CRAFS), il faut éviter de renforcer des clichés. Le scénario de l’agression dans un bar par un inconnu est minoritaire. La majorité des cas surviennent dans un cadre privé, entre connaissances, rendant la vigilance collective encore plus indispensable.
Se reposer uniquement sur un dispositif technologique peut faire baisser la garde, au détriment d’autres mécanismes de prévention pourtant plus efficaces : communication, écoute des signaux faibles, et prise en charge rapide en cas de doute.
Une brique de plus dans l’arsenal de la prévention
Le tatouage anti-GHB ne sauvera pas toutes les victimes, mais il représente un pas en avant. Il s’inscrit dans une logique de prévention proactive et peut s’avérer utile dans des contextes bien précis : festivals, boîtes de nuit, concerts. Toutefois, il ne remplace ni la sensibilisation, ni les dispositifs existants comme les zones sécurisées, les capuchons pour verres ou encore la présence de personnel formé aux situations d’urgence.
En complément, des innovations comme My Cup Condom, un film protecteur qui recouvre le verre pour empêcher l’ajout de substances, offrent d’autres moyens concrets de se prémunir contre les risques.
L’innovation ne remplace pas la vigilance
L’initiative sud-coréenne illustre la manière dont la technologie peut contribuer à une société plus sûre, mais elle ne peut, à elle seule, enrayer un phénomène aussi complexe que la soumission chimique. L’avenir de la prévention réside dans une approche globale : technologique, éducative, juridique et collective.
