Dans les rues de Casablanca ou dans le flux continu des réseaux sociaux, les campagnes publicitaires ont changé de visage. Ou plutôt, elles en ont créé de nouveaux. Des visages générés par algorithme, des voix synthétiques, des slogans écrits par des intelligences artificielles : la publicité marocaine est à l’aube d’une transformation profonde, où l’intelligence artificielle (IA) ne se limite plus à l’analyse de données ou au ciblage, mais devient une force créative à part entière.
Ce tournant ne relève plus de l’expérimentation. Il s’installe dans les usages, les imaginaires et les pratiques des marques. En témoignent les initiatives de plus en plus nombreuses qui jalonnent le paysage publicitaire marocain, à l’image du coup d’éclat de Puma Maroc, qui a dévoilé Laila, un avatar virtuel incarnant l’esprit des Lions de l’Atlas.
Présentée comme une jeune femme de 21 ans, sportive, dynamique et volontaire, Laila est bien plus qu’une mascotte digitale. Elle est pensée comme une ambassadrice capable de dialoguer avec une génération connectée, d’interagir avec les fans sur Instagram ou TikTok, et de porter les couleurs nationales avec une audace futuriste. À travers elle, Puma Maroc bouscule les codes du marketing sportif et s’inscrit dans une stratégie où l’IA devient vecteur d’émotion, de narration et de proximité.
Laila n’est pas un cas isolé. Dans une autre sphère, Hyundai Maroc a également choisi de s’appuyer sur les promesses de l’IA pour sa nouvelle campagne dédiée au SUV KONA. Le spot met en scène une rencontre inédite : Hicham Masrar, journaliste et présentateur emblématique, et Kenza Layli, première influenceuse virtuelle du Royaume. Dans un ballet publicitaire aux accents de film d’action, les deux figures traversent des paysages marocains en incarnant, chacune à sa manière, l’esprit d’aventure et de modernité de la marque.
Le choix de ce duo incarne parfaitement la nouvelle dynamique du storytelling publicitaire : faire cohabiter la notoriété humaine avec la puissance de l’innovation technologique. Kenza Layli, influenceuse 100 % numérique, créée à partir d’intelligence artificielle, s’impose ainsi comme un personnage crédible, capable de générer de l’engagement réel, d’attirer des communautés et d’incarner une marque au même titre qu’une célébrité de chair et d’os.
Mais Hyundai ne s’est pas arrêtée là. Le constructeur a franchi une nouvelle étape en lançant, avec L’Atelier Digital & AI, la toute première campagne 100 % générée par IA au Maroc, centrée sur le modèle Tucson N-Line. Ici, le script, la voix-off, le visuel et même les émotions sont le fruit d’algorithmes nourris à l’intelligence créative. L’objectif ? Gagner en réactivité, en impact et en personnalisation tout en réduisant les délais de production. Une démarche qui redéfinit le rôle des agences, désormais à la croisée des chemins entre technologie et création.
Pour celles et ceux qui s’interrogent sur la capacité réelle de l’IA à prédire le succès d’un message publicitaire, une réponse existe déjà. Elle s’appelle LinkAI, une technologie développée par Kantar et introduite au Maroc par Integrate Consulting. LinkAI se présente comme un outil d’analyse prédictive, capable de simuler en amont la réception d’une publicité par les consommateurs. À travers une analyse image par image, la solution détecte les signaux faibles : baisse d’attention, rupture narrative, fatigue cognitive. Elle identifie aussi les marqueurs émotionnels ou cognitifs liés à l’intention d’achat.
Cette technologie, déjà utilisée dans plus de 70 pays et fondée sur une base de 230.000 créations testées, permet d’anticiper ce que le cerveau retiendra, attribuera à la marque ou considérera comme incitatif. Elle s’inscrit dans une logique de performance : éviter les échecs, rationaliser les investissements et rendre la publicité plus efficace, dès la phase de conception.
Autre exemple marquant : Maroc Telecom, acteur majeur des télécommunications, a frappé les esprits lors du Salon International de l’Agriculture à Meknès. Dans un espace dédié à la « ferme intelligente », l’opérateur a présenté un avatar humain interactif basé sur l’actrice Ibtissam Laaroussi. Reproduite en hologramme réaliste, avec sa voix et ses expressions, elle accueillait les visiteurs, répondait à leurs questions et présentait les innovations de l’opérateur en trois langues. Plus qu’un gadget, cet avatar incarne une vision nouvelle de la relation client : plus fluide, plus humaine, plus technologique.
Cette présence croissante de l’IA dans les campagnes marocaines repose sur des logiques convergentes : volonté de moderniser l’image des marques, nécessité d’optimiser les budgets, recherche d’une meilleure personnalisation, et surtout adaptation à une audience connectée, exigeante et avide d’interaction.
Néanmoins, cette transformation n’est pas sans obstacles. Intégrer des outils IA nécessite des infrastructures adaptées, une gouvernance des données rigoureuse, et surtout, des compétences spécialisées. Le manque de profils formés à la gestion de projets IA, à l’analyse de données ou à la production créative assistée par algorithmes reste un frein pour bon nombre d’entreprises.
Il s’agit donc moins d’une substitution que d’une hybridation. L’intelligence artificielle n’a pas vocation à remplacer les créateurs, mais à leur fournir de nouveaux leviers pour raconter des histoires, toucher les cœurs et activer les mémoires. Elle bouscule les habitudes, redistribue les cartes du pouvoir créatif, mais laisse toujours place à l’humain, à la sensibilité et à l’intuition.
Au Maroc, où la publicité est en pleine mutation, cette rencontre entre tradition narrative et rupture technologique offre un terrain fertile pour les marques audacieuses. Dans ce nouvel âge de la communication, les algorithmes ne font plus seulement tourner les plateformes : ils font battre le cœur des campagnes.
