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Ce que communiquer veut dire pour les établissements d’enseignement supérieur

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Par Emmanuelle Armandon. Tiré du mémoire préparé en 2021 par Mme Emmanuelle Armandon, dans le cadre du master M2 « Politiques de communication et développement des organisations », au sein de l’Ecole de Communication et de Publicité Com’Sup.

En seulement quelques décennies, universités et grandes écoles ont connu une transformation aussi rapide que spectaculaire. Peu de secteurs d’activités ont fait face à autant de nouveaux enjeux et de nouvelles problématiques. Hausse exponentielle des effectifs étudiants, multiplication des établissements et des formations, internationalisation de l’enseignement supérieur (notamment via une plus grande mobilité internationale des étudiants et des enseignants-chercheurs et l’apparition des classements internationaux), compétition entre institutions, etc. Ces grandes mutations ont amené de nombreux Etats à réformer leur système d’enseignement supérieur et ont contraint les établissements à se transformer et à adopter, au moins en partie, les modes de fonctionnement ou « bonnes pratiques » professionnelles d’ores et déjà en vigueur dans le monde de l’entreprise. Toutes les composantes des établissements sont concernées par cette transformation et par les principaux mots d’ordre qui la sous-tendent (compétitivité, autonomie, évaluation, attractivité, qualité). Les services communication n’échappent pas à ces évolutions. Bien au contraire, ils jouent un rôle moteur et contribuent activement au fort degré de référence au modèle de l’entreprise. Nombre d’institutions ont opté pour des axes et des outils de communication largement et traditionnellement utilisés par le monde des entreprises. Il apparaît néanmoins que l’adoption des méthodes, des outils et des discours de la communication marketing trouve rapidement ses limites dans le champ académique.

Le nouvel impératif communicationnel du monde académique

Dans un univers académique concurrentiel et beaucoup plus médiatisé que par le passé, il faut désormais que les établissements se montrent, s’affichent, soient visibles, fassent parler d’eux. Ils doivent se démarquer de leurs concurrents pour attirer les meilleurs étudiants et enseignants, obtenir de nouveaux financements, collaborer avec de nouveaux partenaires aussi bien au niveau national qu’international. Dans cette quête de visibilité, les établissements ont été contraints de revoir leur dispositif et pratiques communicationnels. Cette mutation a eu trois principales conséquences.

La première est le développement de la fonction de « communicant » de l’enseignement supérieur et des services communication des établissements. Effectifs et budget des services en hausse, professionnalisation du métier : le profil du communicant de l’enseignement supérieur a fortement changé au fil des années. Son évolution est aussi liée à la plus grande place que leur accorde la direction dans la hiérarchie de l’institution.

La deuxième conséquence de l’émergence de ce nouveau dispositif communicationnel est liée à l’utilisation croissante des outils empruntés au modèle marketing de la communication. Les établissements font désormais appel aux outils du marketing classique, du marketing digital et du marketing évènementiel. La communication par l’objet et le renforcement de l’identité visuelle des institutions sont eux aussi devenus des éléments incontournables de leur stratégie de communication.

La troisième conséquence concerne les messages portés par les établissements. On assiste depuis plusieurs années à une pénétration du discours promotionnel-publicitaire, généralement véhiculé par les entreprises. Ce discours incitatif a pour but de « faire adhérer » à la vision de l’institution, à ses offres de formation. L’analyse des sites Internet de plusieurs établissements fait apparaître l’usage croissant de superlatifs (la meilleure…, le plus…, etc.) et/ou de catégories lexicales valorisantes, l’adoption des éléments du langage de la performance et de la qualité, et la diffusion de messages prometteurs. La majeure partie des sites Internet abordent les mêmes thématiques (l’ouverture sur le monde, les liens avec le monde de l’entreprise, la préparation de l’entrée des étudiants dans la vie active, etc.). La rhétorique de l’excellence et de l’innovation est omniprésente. Comme le soulignent certains observateurs, « dans un univers entrepreneurial hautement concurrentiel, [les énoncés publicitaires des entreprises] se doivent d’être les plus novateurs et les plus originaux possibles ». Dans le champ académique, il en est autrement : « quand on pourrait s’attendre à ce que ces énoncés exacerbent les spécificités propres aux institutions qu’ils sont censés singulariser, l’analyse révèle au contraire une standardisation du discours »[1]. C’est là l’une des limites des pratiques communicationnelles des établissements d’enseignement supérieur.

Les limites des pratiques communicationnelles des établissements d’enseignement supérieur

Les institutions éprouvent un certain nombre de difficultés dans le déploiement de leur stratégie de communication. La principale est liée au fait que les discours véhiculés ont du mal à atteindre les multiples cibles auxquelles ils s’adressent. En effet, et contrairement à une entreprise classique qui touche généralement un ou deux publics, une université ou une école en touche cinq ou six, voire plus. Futurs étudiants et enseignants ne constituent que la partie émergée de l’iceberg. Parmi les multiples autres cibles et prescripteurs, on peut notamment citer : les parents, les professeurs du secondaire ou des classes préparatoires, les responsables d’orientation du secondaire, les associations d’anciens diplômés, les publics internationaux, les journalistes de presse traditionnelle et de médias digitaux, les entreprises, les pouvoirs publics, les acteurs de l’environnement politique, économique, associatif local, les organismes nationaux ou internationaux d’accréditation, le grand public, etc. S’adresser à ces multiples cibles qui ont des attentes et des intérêts différents, qui sont plus ou moins « sensibles », réceptifs, et/ou exigeants, tout en sachant qu’il faut communiquer différemment avec chacune d’entre elles, tel est le défi que doivent relever les établissements d’enseignement supérieur.

A cette difficulté de taille vient s’en ajouter une autre : si le responsable communication reste le principal acteur et tend à se présenter ou à être présenté comme le « gardien de l’image » de l’institution, il ne détient plus le monopole de la communication et doit désormais composer avec de nombreux autres acteurs. Direction, étudiants, enseignants ou encore personnel administratif prennent eux aussi la parole. Leur implication croissante dans la communication portée par les établissements peut exercer une influence positive sur la visibilité et l’attractivité de ces derniers. Ce phénomène vient toutefois complexifier les tâches des responsables communication qui sont désormais contraints d’interagir et de coordonner les initiatives des uns et des autres. Ils doivent également veiller à assurer la cohérence entre, d’un côté, le positionnement de l’institution et sa stratégie, et, de l’autre, les images et discours que peuvent véhiculer cette multitude de communicants. Comment s’assurer que tous parlent d’une même voix ? Comment gérer les éventuels dérapages, débordements ou encore la diffusion d’informations erronées ou prématurées ?

Voilà autant de défis et d’enjeux qui montrent que la communication des établissements d’enseignement semble encore se chercher. Les pratiques et stratégies communicationnelles mis en œuvre depuis le début des années 2000 ne constituent peut-être qu’une première étape. Sans doute les institutions devront-elles s’engager dans un véritable et profond processus de réflexion quant à la meilleure manière de donner du sens à leur stratégie de communication. La communication interne devrait, elle aussi, être au cœur des réflexions à mener par les institutions académiques. Favoriser le développement d’un fort sentiment d’appartenance auprès de toutes les catégories de personnel qui travaillent en leur sein est probablement l’une des conditions sine qua non qui permettrait d’assurer le rayonnement et la réputation des établissements.

[1] GASPARD Jeoffrey, « Le discours promotionnel des universités européennes. Homogénéité dans la compétitivité ? », in Mots. Les langages du politique, vol. 102, n°2, 2013, pp. 53-66